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23 février 2011

Pourquoi l’immigration ne sauvera pas le Québec

Par Éditions du Boréal

Note: le texte si bas est l’avant-propos de Le Remède imaginaire, un livre important qui avance que le public et les décideurs entretiennent une idée fausse de l’effet de l’immigration sur l’économie et la démographie. Le livre sera en librairie le 1er mars.

L-1868-1Par Benoît Dubreuil et Guillaume Marois

À l’automne 2007, le gouvernement du Québec réalisait une consultation publique afin de planifier sa politique d’immigration pour les trois années à venir. Alors que les consultations gouvernementales tournent souvent au débat politique sinon à la foire d’empoigne, celle-ci devait se dérouler dans une unanimité surprenante. Parlant d’une seule voix, dirigeants politiques et groupes d’intérêt ont — pour l’immense majorité d’entre eux — recommandé au gouvernement d’augmenter le volume d’immigration au Québec.

La principale raison justifiant cette recommandation était invoquée par quasiment tous les participants: le Québec était une société vieillissante où le départ à la retraite des baby-boomers conduirait à une pénurie de main-d’œuvre. Dans ce contexte, une hausse importante d’une immigration jeune et qualifiée était essentielle pour soulager le fardeau grandissant sur les finances publiques du Québec. La chose allait de soi. Vraiment?

Au moment de la consultation, l’un de nous (Marois) travaillait à son mémoire de maîtrise, dédié à la modélisation de l’impact de l’immigration sur la démographie québécoise. Ses résultats, tout comme les données disponibles pour le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays européens, montraient sans l’ombre d’un doute que l’immigration n’avait qu’un impact marginal sur la structure par âge de la population de la société d’accueil. Il lui semblait par conséquent évident que l’immigration n’était pas efficace pour atténuer l’effet négatif du vieillissement de toute une population.

De son côté, à la même époque, Benoît Dubreuil animait depuis déjà quelques années un site Internet (PolitiquesSociales.net) consacré à la recherche sur les politiques sociales, notamment les politiques d’intégration à l’emploi. À travers la littérature économique européenne et nord-américaine, il avait depuis longtemps constaté 
les importantes difficultés économiques que rencontraient les immigrants dans tous les pays occidentaux. Il avait aussi progressivement pris conscience de la difficulté de mettre sur pied des politiques sociales permettant d’assurer leur pleine intégration au marché du travail. Il lui semblait évident que les difficultés d’intégration économique des immigrants compromettaient sérieusement la possibilité que l’immigration ait des répercussions favorables sur l’économie et les finances publiques.

Au cours des années qui ont suivi, tous deux avons poursuivi nos lectures sur l’impact démographique et économique de l’immigration. Nous avons acquis la conviction que le débat québécois était obscurci par une idée fausse, vigoureusement démentie par la littérature scien-
tifique. Il fallait bien en convenir: l’immigration ne permettait pas de mitiger les effets négatifs du vieillissement de la population sur les finances publiques. Il n’était même pas certain qu’elle n’y ajoutait pas en réalité un fardeau supplémentaire. Mais comment l’idée contraire avait-elle pu s’imposer avec tant de force non seulement chez nos dirigeants, mais aussi dans les médias et dans l’opinion publique?

La raison nous semblait évidente: pratiquement aucun spécialiste de la question n’était intervenu dans le débat public pour contredire la vision démesurément optimiste qui se répandait au Québec. Pourtant, ces spécialistes existent — dans les organismes publics, les universités 
ou les think tanks —, et nous exposerons les résultats de leurs recherches dans les pages qui suivent. Mais alors, comment expliquer l’absence de ces spécialistes du débat public, alors qu’ils avaient tous les outils pour venir l’éclairer? Les chercheurs n’hésitent généralement pas à intervenir publiquement pour faire connaître le résultat de leurs travaux. Comment expliquer leur discrétion sur ce thème?

Disons-le clairement, c’est que l’immigration n’est pas un thème comme les autres. Au cours des dernières années, ce sujet s’est retrouvé au cœur de débats souvent emportés et parfois empoisonnés. Ces débats prirent d’abord un tour idéologique — et souvent abstrait — dans les publications universitaires qui, depuis les années 1990, se multiplient à un rythme soutenu et interviennent abondamment sur les thèmes de la diversité, de l’identité et du multiculturalisme. Au Québec, ils firent cependant une intrusion brutale dans le débat public autour de la crise des accommodements raisonnables. L’atmosphère toxique de ce débat — marquée de toutes parts par les accusations gratuites, les procès d’intention et une indomptable spéculation — en a sans doute convaincu plusieurs de rester à l’écart. Parmi eux, on peut imaginer ces économistes et démographes, spécialistes des méthodes quantitatives et des jugements nuancés, cherchant depuis des années à documenter les effets économiques et démographiques de l’immigration.

Nous avons décidé d’écrire ce livre afin de combler un manque. Nous avons la conviction que le public et les décideurs entretiennent une idée fausse de l’influence de l’immigration sur l’économie et la démographie québécoises. Nous croyons que cette idée fausse nous empêche d’évaluer de façon objective la politique québécoise d’immigration. Elle conduit aussi bien les Québécois de naissance que les immigrants à nourrir des attentes démesurées par rapport à cette politique, des attentes qui, un jour ou l’autre, seront forcément déçues.

Le débat sur les accommodements raisonnables ayant récemment diminué en intensité, nous avons la naïveté de croire qu’il est désormais possible d’examiner publiquement ces questions d’une manière rationnelle, c’est-à-dire en analysant objectivement les études disponibles et en nous tenant le plus loin possible des réactions émotives irréfléchies. Ce ne sera pas une mince affaire. Nous avons conscience que l’immigration est — et restera pour longtemps — une question délicate, puisqu’elle nous touche tous d’une manière ou d’une autre.

L’intégration des immigrants à la société québécoise soulève des difficultés, il ne s’agit pas de le nier. Il va sans dire que la compétition entre l’anglais et le français pour l’attraction des immigrants demeure bien réelle. Néanmoins, il est impossible de nier qu’un pourcentage non négligeable de nouveaux venus s’est solidement intégré à la société québécoise au fil des années. Les entrelacements sont aujourd’hui devenus si nombreux que, pour maints Québécois — immigrants ou non —, parler d’immigration revient à parler d’une partie d’eux-mêmes.

Pour éviter les malentendus ou les procès d’intention, nous ressentons le besoin d’être particulièrement limpides. Ce livre ne porte pas sur les effets de l’immigration en général. Nous nous concentrons exclusivement sur les aspects économiques et démographiques de ces effets, qui ont été largement négligés dans le débat public. Évidemment, l’immigration n’est pas qu’une affaire économique ou démographique. Il existe des raisons morales, humanitaires, sociales, culturelles, linguistiques ou politiques d’être favorable ou défavorable à tel ou tel aspect de nos politiques d’immigration.

Pourquoi l’immigration?

En préparant ce livre, nous avons eu l’occasion de faire part de ses principales conclusions à plusieurs collègues et amis qui adhéraient au lieu commun. Selon eux, le Québec vieillissant avait besoin d’immigrants pour rester jeune. Après nos explications, la première réaction de nos interlocuteurs fut la surprise: est-il possible que l’immigration n’ait qu’un impact marginal, alors que politiciens et commentateurs la présentent comme un outil essentiel? Une fois convaincus qu’ils avaient été induits en erreur, la seconde réaction de nos amis était prévisible: mais alors, pourquoi recevons-nous des immigrants? Bonne question.

Depuis quelques années, les Québécois vivent dans la certitude. Leurs préjugés démographiques et économiques donnent à leurs yeux une finalité incontestable à leurs politiques d’immigration. Une fois déboulonnés, ces préjugés ne peuvent laisser place qu’à la désorientation: mais alors, à quoi tout cela mène-t-il? La désorientation n’est pas une mauvaise chose. Dans tous les cas, elle vaut mieux que l’état d’hypnose où sont plongés les Québécois dès qu’il s’agit de réfléchir aux effets de l’immigration. Mais la désorientation ne doit pas conduire à la paralysie. L’effet de l’immigration sur la prospérité du Québec est marginal, mais son effet sur la composition de la population est à la fois profond et durable. Il est donc irresponsable de continuer de naviguer à vue, obnubilés par des bénéfices imaginaires.

Comment penser les finalités d’une politique d’immigration? La première étape, à nos yeux, consiste à reconnaître que, dans les démocraties libérales, l’immigration est un phénomène normal. Il n’y a rien d’étonnant ni de déplorable à ce que — pour une raison ou pour une autre — un certain nombre de personnes souhaitent adopter un nouveau pays. Les gens voyagent, découvrent de nouvelles cultures, souhaitent saisir de nouvelles occasions d’affaires ou tout simplement tombent amoureux de belles étrangères. Si l’écrasante majorité des gens qui viennent au monde dans un pays y passeront leur vie et y mourront, une minorité non négligeable s’installera de manière temporaire ou permanente à l’étranger. Il n’y a là rien d’anormal.

Cela étant dit, il est également évident que l’augmentation de l’immigration ne saurait être une finalité en soi. Sa principale justification — mitiger les effets négatifs du vieillissement de la population — n’a aucun fondement empirique. Alors, que doit viser notre politique d’immigration? Doit-on opter pour le laisser-faire? Si l’immigration est un phénomène normal, sans réel effet sur la prospérité, doit-on simplement laisser entrer ceux qui le souhaitent? Non. Le problème est évidemment que l’immigration, si elle n’offre aucun remède contre le vieillissement, n’en a pas moins des effets considérables sur les plans social, politique, économique et démographique. Il est donc légitime de chercher à la réguler.

Les politiques doivent d’abord être sensibles à la complexité du phénomène migratoire. Il y a différents types d’immigration, dont nos politiques tiennent déjà largement compte. Nous parlerons peu du système canadien de reconnaissance des réfugiés, ou encore du regroupement familial, mais il va de soi que ces composantes de la politique canadienne ne répondent pas aux mêmes finalités que l’immigration économique. Dans les deux premiers cas, les préoccupations sociales et humanitaires sont prédominantes, alors qu’elles ne le sont pas dans le troisième. Les politiques d’immigration doivent également être sensibles à la complexité des effets de l’immigration sur la société d’accueil. Ce ne sont pas tous les groupes dans la société qui partagent les mêmes valeurs ou qui sont également affectés par l’immigration.

Si nous nous contentons d’explorer l’impact économique et démographique de l’immigration, c’est que nous croyons que ces aspects ont été négligés dans le débat public et non parce que nous souhaitons promouvoir une réforme globale de nos politiques d’immigration. Il ne s’agit pas ici d’une simple précaution oratoire. Pour proposer une réforme globale de nos politiques, il faudrait considérer l’incidence de l’immigration sur d’autres facettes de notre vie collective, comme la culture, la cohésion sociale ou la situation linguistique et politique. Il faudrait aussi considérer les implications morales et humanitaires de nos politiques.

Si nous n’avançons pas de proposition de réforme globale, nous n’hésitons pas à évaluer certains programmes au regard des finalités économiques et démographiques sur lesquelles ils reposent. Cela implique que ces programmes doivent être réformés ou, au minimum, repensés sur la base de finalités autres qu’économiques ou démographiques. Nous n’hésitons pas non plus à expliciter certains enjeux dont les Québécois ne semblent pas avoir connaissance. L’immigration n’est pas — et ne peut pas de façon réaliste devenir — un outil efficace pour mitiger les effets négatifs du vieillissement de la population. C’est donc dire qu’il est peu judicieux de placer cet objectif au cœur de nos politiques d’immigration.

Ensuite, nous souhaitons amener les Québécois à prendre conscience qu’il n’existe pas de recette magique pour améliorer de façon substantielle l’intégration des immigrants à l’économie. Les difficultés qu’ils rencontrent découlent de plusieurs facteurs, sur lesquels nous ne sommes pas toujours en mesure d’exercer un contrôle. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, se croiser les bras et laisser les immigrants à eux-mêmes, mais bien qu’il faut avoir des attentes plus modestes par rapport aux programmes que nous mettons en place et effectuer un suivi serré de leurs effets.

Nous souhaitons aussi montrer que l’une des façons les plus efficaces d’améliorer les performances économiques des immigrants consiste à opérer une sélection plus stricte et rigoureuse des candidats à l’immigration. Il ne faut cependant pas se fermer les yeux. Pour des raisons que l’on comprendra à la lecture de cet ouvrage, un resserrement de notre politique de sélection des immigrants entraînera nécessairement une chute considérable des volumes d’immigration admis au Québec. Est-ce à dire que nous voulons moins d’immigrants? Pas nécessairement, mais disons qu’un examen serré de la situation crée une pression considérable sur les partisans du statu quo pour qu’ils justifient la rationalité du système actuel.

Il est risqué d’aborder un sujet comme celui de l’immigration. Est-il socialement acceptable d’écrire sur l’immigration sans dire qu’elle est nécessaire, et nécessairement bonne? Nous pensons que cela est possible, du moment où nous nous appuyons sur des faits. Bien entendu, certains désagréments sont inévitables. Quand nous affirmons que l’immigration n’est pas nécessairement bonne sur le plan économique, il se trouvera des gens obtus ou malintentionnés qui voudront nous faire dire qu’elle est «nécessairement mauvaise». Affirmez que le Québec «n’a pas besoin d’immigrants» et l’on entendra que le Québec «a besoin de ne pas avoir d’immigrants». On comprendra que vous n’aimez pas les étrangers, la diversité ou — comme on dit dans le jargon des pseudo-sciences sociales — l’«Autre».

Il faut accepter l’idée que l’immigration découle d’une politique comme les autres, c’est-à-dire d’une mesure visant à atteindre des objectifs précis, entraînant des conséquences multiples et devant faire l’objet d’une évaluation rigoureuse. Pour plusieurs, critiquer la politique d’immigration revient à critiquer les immigrants en tant que personnes. Ces malentendus sont sans doute inévitables. Ils font partie des désagréments qui accompagnent la prise de parole publique. Mais nous ne nous y serons pas exposés en vain si ce livre conduit le lecteur curieux à remettre en question certaines idées préconçues et à s’interroger sur ce que devraient être les politiques québécoises d’immigration.

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