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entretien

17 octobre 2016

Entretien avec LOUIS HAMELIN

Par Éditions du Boréal

Autour eva_wDepuis La Constellation du Lynx, on sent chez vous une fascination pour la politique, surtout sa face sombre. Qu’est-ce que le roman peut apporter à la politique, et la politique au roman?

Le roman pourrait apporter quelque chose à la politique si les politiciens lisaient des romans. Dans un monde idéal, le roman pourrait même contribuer à former de meilleurs électeurs, en ouvrant l’imagination, en élargissant le spectre des possibles. Mais depuis que le roman a pratiquement disparu de la place publique (ce n’est pas de lui qu’on discute autour de la machine à café, en tout cas, ni même dans un souper entre amis intellos, où ce sont les séries télé américaines pigées sur Netflix qui monopolisent maintenant la conversation), depuis, donc, que le roman a quitté la place publique (mais l’a-t-il vraiment déjà occupée ?), son rôle comme « influenceur d’opinions » est forcément très réduit.

La politique, par contre, peut apporter beaucoup au roman. Le pouvoir est une machine à fabriquer des histoires, comme Shakespeare l’avait bien compris. Je suis toujours surpris de constater à quel point les Québécois sont frileux sur ce plan. Quel romancier a osé aller renifler du côté du Bunker ? L’ironie romanesque se prête merveilleusement bien à la description de l’univers politique. Or, la politique est un monde bridé, aux antipodes de la liberté du littérateur. C’est un peu déprimant. Un René Lévesque n’est plus possible aujourd’hui. Le romancier peut au moins se consoler en le ressuscitant dans ses livres…

L’Abitibi et sa nature jouent un très grand rôle dans ce roman. Qu’y voyez-vous de si particulier?

Ça aurait aussi bien pu être le Saguenay ou la Côte-Nord. Il se trouve que j’ai passé quelques années de ma vie d’écrivain dans la forêt abitibienne, et mon univers romanesque en a été comme tout naturellement imprégné. Mais, en fait, le conflit qui est au centre de Autour d’Éva m’a été inspiré par un projet de développement qui visait un lac de la Mauricie. J’ai pris le superhôtel de M. Sylvain Vaugeois (un ami de Bernard Landry et du sérail péquiste, en passant…) et je l’ai déplacé en Abitibi ! Cela dit, je suis un amant fou de la forêt, et en Abitibi, il n’y a pas de montagnes, pas de mer ou de fleuve pour faire diversion : on est devant la forêt jusqu’à l’horizon. Et c’est encore mieux quand elle n’est pas défigurée par les coupes à blanc et les puits de mine…

Vous exprimez un scepticisme certain devant l’action écologique et sociale. Croyez-vous qu’il s’agit là d’un combat dépassé?

Dépassée, l’action écologique et sociale ? Jamais de la vie ! Est-ce que le débat sur l’extraction pétrolière et les pipelines est dépassé ? Au contraire, l’action environnementaliste et citoyenne est plus que jamais au centre de l’actualité. Développeurs contre défenseurs de l’environnement : du marais de la rainette jusqu’au macrocosme climatique, c’est le schéma de base des trois quarts des affrontements politiques qui font les manchettes. Dans ma vie personnelle, je suis un farouche partisan de la préservation intégrale du plus grand nombre de milieux vivants et de forêts vierges possible. Je ne suis pas « sceptique » par rapport à la pertinence du combat pour la survie du monde sauvage. Juste un peu découragé, des fois, tellement la ligne de front est étendue. Découragé devant le nombre de feux à éteindre… et sans cesse rallumés, parce que l’humanité, quand elle ne donne pas l’impression de régresser, évolue, au mieux, à pas de tortue.

Dans mon roman, il y a une double réflexion qui s’articule autour, d’une part, de la question de l’engagement social et environnemental des artistes connus, et d’autre part, des effets néfastes d’un power trip dans n’importe quel contexte politique. Mais la réflexion ne prend jamais le pas sur la fiction. C’est l’histoire d’Éva que je raconte. Et j’ai voulu avant tout écrire une bonne histoire.

Votre roman est tout sauf politically correct. Vous prenez une grande liberté à montrer les paradoxes, souligner les aspects peu reluisants de certaines icônes, de certains personnages publics québécois. Craignez-vous les réactions du public?

À part René Lévesque et le docteur Laurin, qui sont des monuments, plus un petit coup de griffe à Lucien Bouchard et des clins d’œil sympathiques à une couple de journalistes, je n’identifie, dans Autour d’Éva, aucun « personnage public québécois ». Les gens seront peut-être tentés de rapprocher Dan Dubois de Jean-Claude Lauzon, de Roy Dupuis ou de Richard Desjardins, mais c’est leur problème. La vérité, c’est que Dan Dubois, comme Chevalier Branlequeue dans La Constellation, est une pure fabrication et une créature aussi composite que le monstre de Frankenstein.

Croyez-vous que le Québec soit devenu « sage », incapable d’autocritique? Sommes-nous devenus frileux?

Le Québec n’est pas sage, il est satisfait. C’est bien pire. Pour ce qui est de la frilosité et de la critique, on devrait se chicaner un peu plus souvent. Ça nous ferait du bien.

Quel rôle la littérature joue, peut ou doit jouer dans notre société ?

Le seul rôle de la littérature, c’est d’être une école de liberté. Toute autre mission qu’on pourrait vouloir lui confier est réductrice et la rend beaucoup moins intéressante.

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