L’image du parc d’attractions, déjà présente dans Retraite, se trouve au cœur de votre roman. Pourquoi est-elle si importante pour vous ?
Ce qui s’exprime à travers le parc de loisirs, c’est une idée du monde à laquelle le narrateur a du mal à adhérer : il est le symbole d’une agitation insolite. Gigantesque et infiniment varié, en perpétuelle expansion, le Parc suppose qu’on cherche à lutter contre un ennui extraordinaire… Son existence est source de perplexité pour le narrateur, mais elle est aussi à l’origine de réflexions sur la nature inconnaissable du monde, son immensité et la métamorphose dont il est continûment l’objet. L’image du Parc conjugue, en outre, dans mon roman, les deux pôles du travail et du loisir, puisque ce Parc nous est présenté à travers le regard d’un employé (un employé dont la place est d’ailleurs, en quelque sorte, intermédiaire, entre celle de ses collègues et celle des visiteurs, dans les hauteurs d’un Monorail qui fait le tour du lieu).
Votre héros entretient une relation frustrante avec le monde du travail ; toutefois, ce n’est que dans celui-ci que nous le voyons exister. Pourquoi ?
Il me semble que nous nous définissons – ou que nous sommes définis – surtout par la place que nous occupons dans le monde du travail. Dès l’adolescence, nous sommes invités à songer à une carrière : notre formation doit mener à l’exercice d’un métier ou d’une profession. On attend de chacun qu’il travaille, et ceux qui ne travaillent pas sont considérés avec suspicion. L’homme a peut-être besoin du travail, mais le travail, souvent, dans notre société, est coupé de son sens – le sens qu’il devrait avoir, un sens plus « organique » – et rend malheureux. Tout se passe comme si nous n’étions que les rouages de la grande machine du capital, dont la primauté sur les autres sphères de l’existence serait incontestable. Ces réflexions ont dû jouer plus que je ne l’imaginais dans l’élaboration de mon roman.
Vous décrivez un monde qui enferme l’individu dans des logiques absurdes, souvent incompréhensibles. Croyez-vous que votre personnage ait une part de responsabilité, voire de liberté, quant à son avenir ?
Oui, dans une certaine mesure. Et cela lui est même rappelé à quelques occasions (mais on pourrait penser aussi qu’on se moque de lui). Cependant, il y a chez ce personnage une certaine passivité, proche de la docilité, qui fait qu’il se plie aux circonstances. S’il esquisse parfois un mouvement de révolte, il accepte généralement son sort. En même temps, le monde où il évolue est tellement imprévisible qu’il est difficile pour lui de savoir ce qu’il peut vraiment faire. Et quant à savoir ce qu’il veut, c’est un autre dilemme : on est censé avoir des champs d’intérêt, des aptitudes, des ambitions, mais le narrateur se sent étranger à tout ça.
La psychologie est absente de votre roman. Est-ce un choix délibéré ? Quelle en est la raison ?
La littérature se passe dans le non-dit. Il ne faut pas tout expliquer. Je préfère les livres qui me laissent deviner les mouvements intérieurs des personnages par leurs actions, leurs comportements. J’ai voulu écrire quelque chose qui soit à la fois énigmatique et transparent, sans recourir à quelque déterminisme que ce soit, sans essayer de tout justifier. La vie telle que l’éprouve le narrateur est une dérive mystérieuse, déconcertante : il suffit de montrer cette dérive pour exprimer le désarroi du personnage. Cette façon de faire permet aussi, me semble-t-il, d’engendrer beaucoup d’humour.
Cela dit, il ne faudrait pas croire que je me suis interdit formellement toute psychologie (il y en a peut-être quelques touches ici et là) : l’écriture est pour moi affaire de sensibilité, et j’essaie seulement d’être fidèle à mon intuition au moment d’écrire. Il y a un danger à trop intellectualiser la chose, car on risque alors de verser dans le programme.
Y a-t-il des auteurs qui vous ont inspiré ou habité en écrivant ce livre ?
À la fin de l’adolescence, La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint m’a ouvert un monde, et l’influence de ce livre a certainement agi dans l’écriture de Rénovation, du moins dans l’amorce. J’ai découvert ensuite d’autres écrivains contemporains dont la manière m’a fortement marqué (notamment en ce qui concerne l’humour) : Christian Oster, Lydie Salvayre, Éric Chevillard, Benoît Duteurtre et Antoine Volodine pour n’en nommer que quelques-uns. L’œuvre d’Albert Cossery m’a beaucoup touché aussi en ce qui concerne le sujet du travail. Cependant, celui qui ne cesse de m’accompagner est sans conteste Emmanuel Bove, dont le roman Mes amis (un peu à l’instar de Confession de minuit de Georges Duhamel et plus généralement de tout le cycle Vie et aventures de Salavin) a laissé en moi une empreinte durable. Bove dit la détresse morale de ses personnages comme nul autre, avec une vérité et une émotion sans pareilles.
Quel rôle la littérature joue, peut ou doit jouer dans notre société ?
Il y a une citation du poète William Cliff que j’aime beaucoup : « Pour moi, c’est ça la littérature : dire ce qu’on ne dit pas de vive voix dans la société, et qu’on écrit en cachette. »
La littérature est un ressaisissement, elle donne de la vigueur en faisant renaître en nous le sentiment de l’existence. Elle permet d’exprimer l’ambiguïté de la vie, l’incertitude, le désarroi, la peur… Elle ramène le lecteur à sa solitude essentielle.
Cela dit, la littérature n’a pas de rôle à jouer. Elle ne sert à rien, elle ne doit servir à rien. Elle est inutile… et c’est ce qui fait précisément sa valeur.
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