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22 mars 2023

Cérémonie de remise du Prix des cinq continents de L’OIF à Monique Proulx

Par Éditions du Boréal

22 mars 2023

Monique Proulx à la remise du Prix des cinq continents 2023

Discours de Monique Proulx

Madame la Secrétaire générale, chers membres du jury qui m’avez fait l’honneur de choisir mon livre parmi des œuvres fortes de partout, chers vous tous qui maintenez vivante une organisation vouée à la célébration de la francophonie, mes amis, francophones ou francophiles

            Je veux d’abord féliciter chaleureusement Yahia Belaskri pour son roman Le Silence des Dieux, qui s’est mérité une mention spéciale du jury.

            En tant que Québécoise, je suis heureuse de ce prix plus que de n’importe quel autre. Il me semble que c’est l’une des choses que le Québec a fait de mieux jusqu’à maintenant, garder la tête du français hors de l’eau et l’inciter à nager loin avec grâce et opiniâtreté, en dépit de la houle et des vents contraires.

            « Pourquoi écrivez-vous en français? » m’avait demandé il y a quelques années le journal Libération, et j’en avais été offusquée, puisque dans notre partie du monde nous sommes tombés dans la potion gauloise dès le XVIIe siècle, et qu’aussi bien me demander: pourquoi respirez-vous par le nez?

            Mais il est vrai que, depuis, beaucoup parmi nous, Québécois, sommes maintenant des bâtards, des bâtards mâtinés de sang irlandais et amérindien qui s’est mêlé sans coaguler avec le sang des vieux Poitou et Charente, pour maintenant recevoir une transfusion de globules des cinq continents justement, et voici ce que ça donne, voici comment ça sonne.

            Bien entendu, notre position stratégique en Amérique nous fait recevoir sans cesse des invitations à nous exprimer dans la langue universelle, speak white please, mais nous les refusons sans politesse et tenons ferme notre bout et notre os, et nous mordons quand il le faut – et il le faut souvent.

            On pourrait se demander: pourquoi tant de ténacité? Pourquoi ne pas glisser dans l’osmose anglophone, puisque l’essence de l’humanité est sans doute de communiquer avec ses semblables, peu importe la courroie de transmission?

            Il semble que ce n’est pas possible. Il semble que l’identité de l’humanité, à tort ou à raison, s’obstine à s’incarner dans sa langue – ou sa religion, mais c’est une autre histoire. Je m’émerveille de penser que dans des déserts où ondulent les dunes de sable, la même langue chante que dans nos champs où s’accumulent les bancs de neige. Mais je ne peux oublier que si dans nos champs le français fut langue de la résistance, elle fut peut-être dans les déserts langue de l’envahisseur.

            S’il faut aimer sa langue, il ne faut pas se définir uniquement par elle.

            Les écrivains, d’ailleurs, sont écrivains avant d’écrire, sont écrivains presque de naissance, dans leur regard et leur interprétation du monde, et ensuite ils utilisent la glaise à leur portée – qu’elle soit l’italien, l’espagnol, le français, l’arabe, l’inuktitut – pour sculpter leurs univers.

            Je ne dirai jamais que le français est la seule langue dans laquelle j’aurais pu écrire.

            Mais je dirai certainement que le français a porté tant de musiques puissantes, a été porté par tant d’écrivains grandioses, qu’il est un trésor universel, un héritage somptueux qu’aucun de ses descendants de gré ou de force n’a le luxe de perdre.

            Je dirai qu’écrire en français, c’est jouer d’un instrument sophistiqué qui murmure autant qu’il tonitrue, qui batifole et qui assassine, aussi apte aux palabres qu’aux confidences, dont jamais je ne verrai les limites, dont jamais je ne serai la virtuose totale que je rêve d’être.

            Je dirai qu’écrire en français, c’est avoir accès à la beauté. À la beauté sonore qui se fraie un chemin depuis les profondeurs et remonte agiter la surface, agiter le lecteur, avant de replonger, le lecteur avec elle, dans le silence fertile où elle est née.

Monique Proulx

Mars 2023

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