Les prix annuels de l’Académie des lettres du Québec ont été décernés hier lors d’une soirée à l’Édifice Gaston Miron, à Montréal.
Isabelle Daunais est la lauréate du prix Victor-Barbeau pour son essai Le roman sans aventure. Le prix Victor-Barbeau est décerné chaque année à un auteur pour un essai qui est jugé de très grande qualité par un jury formé de trois membres de l’Académie.
UN BARBARE EN CHINE NOUVELLE
Alexandre Trudeau
Vous avez tourné un documentaire sur la Chine. Vous donnez maintenant un livre. Qu’est-ce que le livre peut dire ou montrer que le documentaire ne peut pas?
Dans le livre je propose une approche quasi documentaire et j’invite le lecteur à m’accompagner dans un long périple à travers la Chine. Un véritable documentaire passe très vite dans le temps. Il ne permet qu’un survol très rapide du sujet. Un livre peut arrêter le temps. Il permet d’ouvrir des brèches dans le récit par lesquelles il nous est possible de pénétrer très, très loin dans un sujet. Dans Un barbare en Chine nouvelle, je pense profiter pleinement de cette liberté littéraire face à l’espace et au temps.
Alors que la Chine nous semble traverser une transformation radicale, vous insistez surtout sur la continuité de sa culture et de sa civilisation. Pourquoi?
Une transformation radicale n’a pas vraiment de sens si nous ne considérons pas l’immensité et l’ancienneté de la culture qui est appelée à se transformer. De plus, je crois davantage à la sédimentation des idées qu’à leur disparition totale. Les ruptures absolues sont très, très rares.
Qu’avons-nous à apprendre de la « Chine nouvelle »?
La Chine nouvelle nous amène à une profonde réflexion sur la question de la liberté. À vrai dire, c’est en comparant notre histoire avec celle de la Chine que nous arriverons à bien cerner l’évolution de la liberté individuelle dans le monde occidental. En comparant la situation en Chine avec celle qui a régné dans le bassin Méditerranéen, par exemple, nous arrivons à mieux percevoir quels éléments géographiques, démographiques et politiques ont rendu cette liberté possible en Occident et non en Chine. Or, la Chine vit actuellement une période de libération socioéconomique intense. Elle continue à se libérer de son passé très contraignant. Parallèlement, je pense qu’il faut remettre en question la liberté individuelle à l’occidentale, aussi chère qu’elle puisse paraître à nos yeux. Elle fait trop abstraction des réalités environnementales et a été édifiée sur le dos de peuples qu’on a subjugués pas la politique ou par les armes. La trajectoire de la Chine nouvelle marque donc certainement un progrès. Mais comme, en Chine, on part de loin, il est possible qu’on y voie s’épanouir une forme de liberté plus équilibrée et mieux adaptée aux nouvelles réalités planétaires comme la diminution des ressources et la surpopulation.
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À quelques jours de la Foire de Francfort, découvrez dans le catalogue de droits quelques-uns des titres que le Boréal s’apprête à faire voyager.
Tristan Malavoy, auteur du roman Le Nid de pierres, et Dominique Lebel, auteur de Dans l’intimité du pouvoir, seront présents au Salon du livre de l’Estrie, qui aura lieu cette année du 13 au 16 octobre.
En plus de participer à plusieurs activités, l’auteur sera présent pour des séances de signature au stand de Dimédia.
Horaire des séances de signature:
Tristan Malavoy
Samedi 15 octobre, de 14h à 15h et de 18h45 à 19h45
Dimanche 16 octobre, de 15h30 à 16h30
Dominique Lebel
Dimanche 16 octobre, de 10h à 11h
Pour obtenir plus d’informations, consulter le site du salon.
Ying Chen
Le héros de votre roman n’est jamais nommé, mais on ne peut s’empêcher d’y voir la figure de Norman Bethune. Pourquoi celui-ci vous intéresse-t-il ?
Norman Bethune est une célébrité en Chine. Comme tous les enfants de ma génération, j’ai dû apprendre par cœur le texte que Mao lui a consacré. Et, comme la plupart des gens de ma génération, j’étais complètement indifférente à toute cette propagande. C’est en arrivant au Canada que j’ai découvert le silence autour de la figure de Bethune, à l’extrême opposé de ce que j’avais connu en Chine. Le cas de Bethune, mort au début de la guerre froide, dans un camp adverse, montre assez clairement comment la réalité est présentée dans les médias, selon l’époque ou les intérêts politico-économiques.
Vous semblez porter un jugement très sévère sur la Chine actuelle. Pourquoi ?
Je ne crois pas que mes opinions envers la Chine actuelle soient sévères. Je n’en suis pas capable, sentimentalement parlant. Et je n’en ai pas le droit, étant donné l’évolution extrêmement complexe de ce pays, évolution dont je ne connais pas tous les tenants et aboutissants. Je suis par contre en désaccord avec l’idée selon laquelle le monde entier devrait suivre un seul et même modèle de développement, soumis à une seule loi, celle du capital et du marché.
Ce roman, avec sa portée historique et politique, marque une rupture avec vos précédents titres. Cela reflète-t-il de nouvelles préoccupations chez vous ?
Il y a un changement de procédé, mais sans rupture par rapport à mon point de vue sur l’histoire, sur les événements du présent et du passé, sur la relativité des vérités. Le docteur Bethune, malgré l’adoucissement récent et assez pragmatique des opinions à son égard, reste aujourd’hui encore, et peut-être plus que jamais, une figure dissidente, donc actuelle. Et je trouve que notre époque si tumultueuse aurait grand besoin d’une telle dissidence.
Peut-il y avoir encore des figures héroïques dans le monde d’aujourd’hui? Est-ce souhaitable?
Ce sont les époques qui produisent, ou non, les figures héroïques, qu’on le souhaite ou non. Notre époque est dominée par des puissances invisibles.
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Daniel Raunet
MONIQUE BÉGIN. ENTRETIENS
Que diriez-vous à ces jeunes femmes engagées aujourd’hui en politique qui tiennent à préciser qu’elles ne sont pas féministes?
Je leur demanderais si les femmes, que ce soit chez nous ou ailleurs, jouissent de droits égaux à tous égards. Elles me répondraient : « Non! » Et je rétorquerais : « Vous êtes donc féministes! » Je pousserais en disant : « Mais pourquoi, à travail de valeur égale, les salaires des femmes sont-ils inférieurs de 30% à ceux des hommes au Canada aujourd’hui? Et de 32 à 34% en ce qui concerne les professeures de nos universités? Et ainsi de suite! »
En vous lisant, on a l’impression que, à l’époque où vous étiez en politique, il était possible – au prix de grands efforts, certes – de faire changer les choses rapidement et de manière importante. Aujourd’hui, le monde politique donne l’impression d’un certain immobilisme. Qu’est-ce qui a changé? la politique? ceux qui la font?
Non, quand j’étais en politique, comme aujourd’hui, le problème, ce n’était pas l’immobilisme, c’était, c’est le « gradualisme ». Nous gouvernons par des « approches à petits pas ». Tout ce que j’ai réussi à faire, je l’ai fait sur plusieurs années : la Loi canadienne sur la santé, la bonification des pensions, la dévolution des services de santé aux Premières Nations et tout le reste. D’où ma diatribe, désormais célèbre, il y a dix ans : le Canada est le pays des projets pilotes! Les politiciens n’agiront jamais s’ils ne sont pas sûrs qu’il y ait une demande réelle; que l’inaction puisse leur faire mal; et que la pression ne les lâchera pas. Malheureusement, ils n’entendent pas, ou mal, les demandes de la population. Par opposition, mon crédit d’impôt enfant (les prestations aux enfants et aux familles) fut un coup militaire réussi dans des circonstances exceptionnelles. De même, Justin Trudeau a su saisir au vol les besoins des classes moyennes et il y a répondu dans son premier budget, profitant de l’engouement exceptionnel de son élection en 2015.
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Les Éditions du Boréal ont deux titres présélectionnés cette année pour le Festival du premier roman de Chambéry : Le Nid de pierres, de Tristan Malavoy, et Rénovation, de Renaud Jean.
Rappelons que ce festival, qui se tient au mois de mai à Chambéry, en France, invite chaque année dix primo-romanciers de la Francophonie. Le choix des œuvres se fait par l’entremise d’un réseau de 3 200 lecteurs membres de clubs de lecture répartis en France et à l’étranger. Un événement fort apprécié des écrivains dont la devise est « On a lu, on a aimé, c’est à vous ! ».
Au cours des dernières années, Lori Saint-Martin (Les Portes closes) et Claudine Bourbonnais (Métis Beach) ont été invitées.
Ma folie à moi, c’est la recherche du temps perdu. L’effort tendu pour rattraper des bouts d’existences éparpillées dans l’infini de l’oubli me prend toute mon énergie. Je cherche, recherche, lis et relis des passages de vieux livres et des bribes de textes anciens, je regarde des photographies prises il y a cent ans, mon regard s’éternise sur des instants arrêtés, pris sur le vif par un appareil doté du pouvoir d’emprisonner en une seule image tous les détails, toutes les subtilités d’un moment fuyant. Et ce moment est rendu si loin dans l’espace-temps que la photo devient un rayonnement qui semble provenir d’un point distant de plus de cent années-lumière, un retour magique dans le passé.
Il suffit d’un mot, d’un nom de lieu ou de famille, pour me plonger dans des états inavouables de plaisir et de curiosité. Il suffit que j’aperçoive un arbre pour lui envier sa majesté. Je vois une grange, je me mets dans la peau de cette grange, je deviens bois de grange, sec et gris, je suis le mur de la grange, je revis ses longues soirées d’automne, les nuits glaciales, les canicules, les orages, les amoureux qui viennent s’embrasser à l’abri des regards; je connais des fourmis et des framboisiers sauvages, des chars scrapés, oubliés dans la broussaille, un vieux tracteur rouillé, des nuages, beaucoup de nuages, des trains de vent, des bancs de neige. Ce derrière de grange est le lieu fascinant de tous les amours naissants, le mur fragile au pied duquel on a pris la main de l’autre, l’endroit où on s’est parfois réfugié, pour pleurer, pour fumer, pour rêver, l’endroit où peut-être on s’est caché, pour rien.
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Luc-Alain Giraldeau
Vous dites que l’étude du comportement des oiseaux est susceptible de nous en apprendre tout autant, sinon plus, sur celui des humains que l’étude des chimpanzés. Comment cela est-il possible ?
Parce que l’évolution, ce n’est pas seulement l’héritage de caractères ancestraux, mais aussi la transformation de cet héritage en réaction à des pressions exercées par l’environnement. Ainsi, plusieurs animaux dont les ancêtres n’ont rien de semblable ont néanmoins évolué vers des caractères ressemblants, parce qu’ils vivaient dans des conditions écologiques similaires. C’est ce qui explique, par exemple, la ressemblance externe du requin et du dauphin, un poisson et un mammifère. Dans plusieurs circonstances, notre comportement humain a évolué en réponse à des pressions externes qui ont pu être les mêmes que celles rencontrées par des espèces autres que les primates, comme les oiseaux. Le partage de conditions environnementales peut être aussi important que le partage d’ancêtres; ce que nous partageons avec les primates, en réalité, est alors le fait d’une absence d’évolution.
Vous montrez que la culture qui caractérise l’espèce humaine est le fruit de l’évolution. En même temps, vous nous dites qu’il est impossible de se servir de notre connaissance du monde animal pour juger les comportements humains. N’est-ce pas contradictoire ?
Non, pas du tout. Ce que je dis, c’est que la nature n’est pas le fruit d’un créateur qui nous montrerait par son œuvre ce qui est bon ou mauvais. La nature vivante est le fruit de l’évolution, qui fonctionne avec sa propre logique, aveugle et froide, générant des comportements quelquefois admirables mais souvent carrément répugnants. La nature ne peut donc pas nous servir de caution morale pour juger du bien et du mal. La culture est aussi le produit de l’évolution et, de ce fait, elle n’est ni bonne ou mauvaise.
Vous dites que la biologie est la seule science où deux causes peuvent expliquer le même phénomène. Pourriez-vous nous donner un exemple?
Oui, bien sûr. Lorsque je mange un repas, c’est généralement parce que j’ai faim. La faim est pour moi la cause immédiate de mon comportement alimentaire. Mais, à bien y penser, je mange aussi pour rester en vie, pour alimenter mon corps et me permettre un jour de produire une descendance. Si je ne mangeais pas, je mourrais à coup sûr. Manger pour survivre et se reproduire est la cause plus lointaine, ou évolutive, de ce comportement. Lorsque je mange, je ne pense pas à la mort que j’évite, mais il n’en demeure pas moins que je mange aussi pour rester en vie. Un comportement, deux causes.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre?
Que nous, humains, nous sommes, comme tous les êtres vivants, le résultat de l’interaction éphémère entre deux histoires, une histoire qui nous est léguée par notre lignée, nos gènes, et notre histoire propre, notre histoire anecdotique. Pour comprendre l’humain, il faut accepter cette interaction; c’est elle qui ouvrira ensuite la voie aux échanges entres les sciences humaines et la biologie.
Vous dites de l’évolution qu’elle est un processus sans but précis qui n’a rien à voir avec la notion de progrès. N’est-ce pas là une invitation au cynisme?
Non, pas du tout. Pour moi, une compréhension claire de l’absence de dessein dans l’évolution nous place devant notre responsabilité distincte, celle de penser le bien et le mal sans chercher la caution de la nature. C’est à nous de décider ce qui est acceptable, et ce n’est pas toujours facile.
Vous avez récemment dit que vous étiez très heureux que votre livre se retrouve dans une maison d’édition qui publie également des œuvres littéraires. Pourquoi?
Je trouve dommage que, pour diverses raisons, il faille imposer très tôt aux élèves un choix entre un cursus qui les mènera aux humanités, un autre qui les mènera aux arts et un autre aux sciences naturelles. Mon livre s’adresse donc à tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont choisi de laisser les sciences naturelles au fond de leur pupitre d’école. Je crois que l’activité scientifique, la vraie, n’est pas très différente de l’activité artistique. Dans les deux cas, on imagine le monde dans lequel on se retrouve et on tente de l’expliquer. Nos contraintes disciplinaires sont certes différentes, mais au départ notre créativité est bien la même. La science, celle dont je parle dans ce livre, offre une vision étonnante du monde, capable de rivaliser avec des versions plus artistiques. Je veux partager cela avec les lecteurs. Qui sait, peut-être en seront-ils inspirés? C’est, je crois, ce qui me réjouis d’être édité par une maison qui publie aussi bien un essai de sciences naturelles ou de science politique qu’un roman. Je suis très heureux de faire partie d’une maison qui considère que la science fait partie de la culture.
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Le Conseil des arts du Canada a dévoilé aujourd’hui la liste des finalistes des Prix littéraires du Gouverneur général de 2016. André Habib, pour La main gauche de Jean-Pierre Léaud est en lice dans la catégorie « Essais ».
En « Traduction » sont finalistes Lori Saint-Martin et Paul Gagné, pour Joshua (Mordecai Richler) ainsi que Daniel Poliquin, pour Le grand retour (John Saul).
Les noms des lauréats et des lauréates seront dévoilés le 25 octobre.
Pour connaître les noms de tous les finalistes et les titres en lice, cliquez ici.
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