Le romancier Dany Laferrière s’est exprimé, dimanche 25 octobre, sur la controverse entourant l’utilisation du « mot en n » au micro de Dessine-moi un dimanche, sur les ondes d’ICI Première. Voici son texte intégral.
Le mot fascine par sa composition et cette claquante sonorité qui réveille comme un coup de fouet dans une plantation de canne à sucre ou de coton sur un dos en sueur et musclé. On suppose l’énergie encagée dans ces tranquilles voyelles et consonnes. On ne peut pas entendre ce mot sans se retourner. Il ne convient pas au chuchotement. Et pourtant je connais nombre de chansons haïtiennes, surtout celles qui tiennent leur source du vaudou, où le son devient si doux, si langoureux. On l’entend dans Gouverneurs de la rosée, le grand classique de la littérature haïtienne, comme le râle d’amour d’une jeune paysanne à son amant. Ce n’est pas seulement un mot qui s’infiltre, de jour et de nuit, dans les conversations ordinaires de la vie quotidienne. Il imbibe toute la littérature haïtienne, les chants sacrés ou populaires, la sculpture, et je dirais aussi la morale, car on parle de « Nègre vertical » pour dire celui qui rejette toute forme d’assujettissement. J’avais tort de dire que le mot ne m’intéresse pas; en fait, c’est un mot que je place pour sa forte présence (après l’avoir entendu, on ne peut plus l’oublier) à côté de Legba, le nom de ce dieu qui se tient à la barrière qui sépare le monde visible du monde invisible. Dans le langage du vaudou, on dirait que c’est un mot très « chargé ».
La poésie
Je me souviens du premier poème que j’ai appris par cœur, après les fables de La Fontaine. C’était celui de Carlos Saint-Louis. Il s’est logé en moi pour faire partie de ma chair. Tout enfant né avant les années 70 connaît ce début de poème si naïf:
J’aime le nègre
car tout ce qui est nègre est une tranche de moi.
Je n’aimais pas le poème parce qu’il me faisait croire que j’étais un melon et, dans ma liste de choses détestables, le melon venait entre la carotte et le girofle.
Je me suis retrouvé plus tard dans ces évocations plus lestes où l’on apercevait au loin d’exquises négresses (on dit « nègès » en créole) se baignant dans la rivière. C’est Léon Laleau qui m’a réveillé de cette torpeur adolescente avec un bref poème, «Trahison», paru dans son recueil Musique nègre, en 1931.
« D’Europe, sentez-vous cette souffrance et ce désespoir à nul autre égal d’apprivoiser avec des mots de France ce cœur qui m’est venu du Sénégal. »
Puis le coup de fouet vint de René Depestre avec Minerai noir, paru en 1956, dans lequel il signale qu’après l’extermination des Indiens « on se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique pour assurer la relève du désespoir ». Là, on arrive à l’Histoire et je me souviens de ma passion pour ces récits si pleins de verdeur, d’espoir, de folie, où des esclaves se lancent devant la mitraille de l’armée napoléonienne conduite par le général Leclerc à la conquête de leur liberté. Ce n’est pas dans un salon mais sur le champ des batailles de la Ravine-à-Couleuvres, de la Crête-à-Pierrot et de Vertières que le mot Nègre va changer de sens, passant d’esclave à homme. Les généraux de cette effroyable guerre coloniale le garderont après l’indépendance d’Haïti.
L’art nègre
Mais ce mot tout sec, nu, sans le sang et les rires qui l’irriguent, n’est qu’une insulte dans la bouche d’un raciste. Je ne m’explique pas pourquoi on donne tant de pouvoir à un individu sur nous-même. Il n’a qu’à dire un mot de cinq lettres pour qu’on se retrouve en transe avec les bras et les pieds liés, comme si le mot était plus fort que l’esclavage. Les esclaves n’ont pas fait la révolution pour qu’on se retrouve à la merci du mot Nègre.
Ne dites pas que je ne peux pas comprendre la charge de douleur du mot Nègre, car j’ai connu la dictature, celle de Papa Doc, puis celle de Baby Doc, j’ai plus tard connu l’exil, j’ai connu aussi l’usine, ainsi que le racisme de la vie ordinaire des ouvriers illégaux, j’ai même connu un tremblement de terre, et tout ça dans une seule vie. Je crois qu’avant de demander la disparition de l’espace public du mot Nègre il faut connaître son histoire. Si ce mot n’est qu’une insulte dans la bouche du raciste, il a déclenché dans l’imaginaire des humains un séisme. Avec sa douleur lancinante et son fleuve de sang, il a ouvert la route au jazz, au chant tragique de Billie Holiday, à la nostalgie poignante de Bessie Smith. Il a fait bouger l’Afrique, ce continent immuable et sa civilisation millénaire, en exportant une partie de sa population vers un nouveau monde de terreur. Ce mot est à l’origine d’un art particulier que le poète Senghor et quelques intellectuels occidentaux ont appelé faussement l’art nègre. Ce serait mieux de dire l’art des nègres. Ou encore l’art tout court. Tout qualificatif affaiblit ce qu’il tente de définir. Mais passons, car ce domaine est si riche. S’agissant de la littérature, on n’a aucune idée du nombre de fois qu’il a été employé. Si quelqu’un veut faire une recherche sur les traces et les significations différentes du mot dans sa bibliothèque personnelle, il sera impressionné par le nombre de sens que ce mot a pris dans l’histoire de la littérature. Et il comprendra l’énorme trou que sa disparition engendrera dans la littérature.
La révolution du langage
La disparition du mot Nègre entraînera un pan entier de la bibliothèque universelle. Notre blessure personnelle et nos récits individuels ne font que lui donner de l’énergie pour continuer sa route. Ce n’est pas un mot, c’est un monde. Il ne nous appartient pas, d’ailleurs. Nous nous trouvons simplement sur son chemin à un moment donné. Il a permis la révolution à Saint-Domingue en devenant notre identité américaine. On a capturé des hommes et des femmes en Afrique qui sont devenus des esclaves en Amérique, puis des nègres quand Haïti est devenue une nation indépendante, et cela par sa Constitution même. On ne va pas faire la leçon aux glorieux combattants de la première révolution de l’histoire. Si le mot révolution veut dire « chambardement total des valeurs établies », la révolution de l’esclave devenu libre en est la plus complète. Le Nègre Toussaint Louverture, le Nègre Jean-Jacques Dessalines, le Nègre Henri Christophe et le Nègre Alexandre Pétion ont fondé Haïti le 1er janvier 1804 après une effroyable et longue guerre coloniale. Alors quand un raciste m’apostrophe en nègre, je me retourne avec un sourire radieux en disant : «Honoré de l’être, monsieur.» De plus, Toussaint puis Dessalines ont fait entrer le mot Nègre dans la conscience de l’humanité en en faisant un synonyme du mot homme. Un nègre est un homme, ou, mieux, tout homme est un nègre. Le raciste qui nous écoute en ce moment sait-il qu’il est un nègre de par la grâce de Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de la Nation haïtienne? C’est par cette grâce qu’un grand nombre de Blancs ont été épargnés après l’indépendance d’Haïti. C’est par cette grâce que tous les Polonais vivant en Haïti pouvaient devenir séance tenante des nègres, c’est-à-dire des hommes. Connaissez-vous une pareille révolution du langage? Le mot qui a servi à asservir l’esclave va libérer le maître. Mais pour qu’il soit libre, il faut qu’il devienne un nègre. D’où la phrase magique «Ce blanc est un bon nègre, épargnez-le». Vous comprenez qu’un tel mot va plus loin qu’une douleur individuelle et que si nos récits personnels ont une importance indéniable, ils ne font pas le poids face à l’Histoire, une Histoire que nous devons connaître puisqu’elle nous appartient, que l’on soit un nègre ou un bon nègre.
La plaisanterie
Je comprends qu’on puisse exiger la disparition de ce mot terrible quand on ignore son histoire, dont je viens de présenter une pâle esquisse. Mais je vous assure qu’elle vaut l’examen avant de prendre une pareille décision. On devrait s’informer un peu plus. De grâce, ne dites pas que la geste haïtienne ne compte pas ou qu’elle est simplement haïtienne, car elle a mis fin le 1er janvier 1804 à trois cents ans d’esclavage où l’ensemble du continent africain et une grande partie de l’Europe furent impliqués. Cela permet à ces gens, légitimement, d’ajouter une nouvelle définition à ce mot. Ils disent froidement après l’esclavage qu’ils sont des nègres et le maintiennent jusqu’à ce matin de 2020. Ce n’était pas un acte d’individus bornés, de «monstres désenchaînés», selon l’horrible expression du pourtant si élégant Musset, c’était mûrement réfléchi. Et ils entendaient répandre cette liberté et cette expression qui caractérise l’homme libre dans toute l’Amérique. C’est pourquoi, à peine quelques années après l’indépendance, Alexandre Pétion, premier président de cette jeune république, offrit refuge et aide militaire en Haïti à un Bolívar épuisé qui s’en ira après libérer une partie de l’Amérique latine.
On peut malgré tout discuter encore du mot, en essayant de l’actualiser, en faisant des compromis, mais, de grâce, épargnez-nous cette plaisanterie d’une hypocrisie insondable du «N-word», qui n’est qu’une invention américaine comme le hamburger et la moutarde sèche. Et j’espère que nous aurons le courage de l’effacer du visage glorieux de Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de la Nation haïtienne, dont on disait qu’il était le Nègre fondamental.
Dany Laferrière
de l’Académie française
Un appel à la discordance de Marie-France Bazzo
Montréal, le 27 août 2020. Les Éditions du Boréal sont heureuses d’annoncer la parution, le 10 novembre prochain, de l’essai de Marie-France Bazzo, Nous méritons mieux. Repenser les médias au Québec, un plaidoyer énergique pour des médias moins consensuels et moins prévisibles.
C’est l’essai d’une femme qui s’est offert un cadeau : celui de parler vrai, de parler en toute liberté de son métier d’animatrice et de productrice. Qui se donne la permission d’analyser et de critiquer un monde qu’elle connaît bien, celui des médias. Évoquant son mentor Pierre Bourgault, elle prend la plume pour que des voix plus libres et plus mordantes trouvent place dans l’univers médiatique.
Elle part du constat largement documenté que les médias, au Québec comme ailleurs dans le monde, vivent une crise multiforme : crise d’identité face à l’émergence du numérique, crise financière occasionnée par la chute des revenus publicitaires et, plus profondément, crise de confiance de la part des citoyens. C’est aussi bien l’animatrice et la productrice que la citoyenne qui s’inquiète et s’interroge face à ce phénomène.
Comment expliquer la méfiance et le désamour des citoyens envers les médias ? Trop prévisibles et trop consensuels, ils négligent l’intelligence et la curiosité de leurs auditeurs et abonnés. Il y a bien des sursauts de lucidité, comme lorsque les journalistes questionnent les dirigeants politiques sur leur gestion par moments chaotique de la pandémie qui nous frappe. On trouve aussi en certains lieux des voix originales qui empruntent des sentiers non balisés. Mais, en règle générale, la discordance et la créativité sont tenues à distance. Cela vaut également pour les producteurs et les diffuseurs qui gèrent l’offre médiatique. Entre déception et impuissance, la productrice Bazzo rêve à une programmation télévisuelle qui tire les esprits vers le haut. Parler vrai et librement est une chose, encore faut-il faire preuve d’exigence. Cet essai veut réaffirmer que les médias, toutes plateformes confondues, pourraient et devraient être meilleurs.
Marie-France Bazzo est productrice et animatrice. Sociologue de formation, elle a animé l’émission Indicatif présent sur la Première Chaîne de Radio-Canada de 1995 à 2006, avant d’animer l’émission BazzoTV de 2006 à 2016 à Télé-Québec. Depuis 2017, elle produit le magazine de société Y’a du monde à messe, animé par Christian Bégin, et tient une chronique dans L’actualité.
En librairie le 10 novembre 2020
Félicitations à Marie-Andrée Lamontagne ! Anne Hébert, vivre pour écrire est finaliste au Prix Gabrielle-Roy 2019, de l’Association des littératures canadiennes et québécoises. Ce prix récompense chaque année le meilleur ouvrage de critique littéraire écrit en français portant sur les littératures canadienne et/ou québécoise. Bonne chance aux finalistes.
Félicitations à Rima Elkouri ! Grand succès public et critique des derniers mois, son roman Manam se retrouve dans la sélection franco-canadienne 2020-21 des Rendez-vous du premier roman. Bonne chance aux autrices et auteurs de la sélection.
Pour en savoir plus, c’est ici.
Montréal, le 17 juin 2020
En septembre dernier, le magazine The New Yorker plaçait Marie-Claire Blais parmi « les écrivains de fiction vivants les plus notoires et les plus originaux ». Ce long et élogieux portrait de Marie-Claire Blais, où il est beaucoup question des dix romans du cycle Soifs, confirmait l’attention que suscite actuellement l’œuvre de la romancière à l’international.
Quelques semaines auparavant, une entente avait été conclue avec Suhrkamp Verlag pour la traduction allemande du roman Soifs. À l’initiative de l’éditeur Frank Wegner, le roman paraîtra en septembre prochain dans la collection Bibliothek Suhrkamp, qui regroupe certains des plus grands noms de la littérature allemande et mondiale (Thomas Bernhard, Christa Wolf, Samuel Beckett, Annie Ernaux). La traduction a été confiée à Nicola Denis. Marie-Claire Blais figure parmi les invités du Canada de la Foire du livre de Francfort 2020, où il est le pays à l’honneur. En raison de la pandémie, nous ne savons pas, dans l’immédiat, quelle forme prendra la programmation littéraire de l’événement ou si celui-ci sera reporté en 2021.
Le roman Soifs a aussi suscité un vif intérêt chez les éditeurs italiens lors de la dernière Foire du livre de Francfort. Le choix s’est arrêté sur Safarà Editore, jeune maison très dynamique qui se consacre à la littérature étrangère avec un mélange de voix consacrées et de voix émergentes. La maison basée à Pordenone a également acquis Dans la foudre et la lumière et Augustino et le chœur de la destruction.
À la suite d’une entente conclue récemment, les lecteurs espagnols du monde entier pourront lire le roman Soifs grâce à Literatura Random House. L’éditrice Carme Riera Sanfeliu parle du roman comme d’un « exercice narratif imposant qui plaira aux lecteurs les plus littéraires de notre catalogue ». Le catalogue de la maison qui comprend des noms aussi prestigieux que Gabriel García Márquez, J. M. Coetzee, Joan Didion et Chimamanda Ngozie Adichie. L’éditeur a aussi acquis les droits d’un autre roman de Marie-Claire Blais.
En Roumanie, le roman Soifs paraîtra chez Editura Univers. Des discussions ont lieu avec d’autres éditeurs d’Europe et d’ailleurs afin d’accroître le rayonnement de l’œuvre exceptionnelle de Marie-Claire Blais. Édités en France par le Seuil, en Amérique du Nord anglophone par House of Anansi et en français au Canada par les Éditions du Boréal, maintes fois récompensés par de prestigieux prix littéraires, dont ceux du Gouverneur général, ayant fait l’objet d’une adaptation au théâtre chaleureusement accueillie, les romans du cycle Soifs, tout comme leur autrice, méritent pleinement cette reconnaissance internationale. Il y a tout lieu de croire que leur rayonnement est appelé à s’accroître.
Rappelons que Marie-Claire Blais a publié aux Éditions du Boréal, le 3 mars 2020, le nouveau roman Petites Cendres ou la capture.
Félicitations à Marie-Andrée Lamontagne, prix du meilleur livre francophone en histoire des femmes pour « Anne Hébert, vivre pour écrire », décerné par la Société historique du Canada !
Voici ce que le jury avait à déclarer :
« Les membres du jury ont choisi d’accorder le prix du meilleur livre francophone en histoire des femmes à Marie-Andrée Lamontagne, pour Anne Hébert : Vivre pour écrire, paru aux éditions du Boréal, une contribution majeure à l’histoire des femmes de lettres et, plus largement, à l’histoire des femmes. En s’appuyant notamment sur un nombre considérable de témoignages oraux (plus de 80 entrevues menées entre 2005 et 2015) et sur la correspondance d’Anne Hébert et de ses proches, Marie-Andrée Lamontagne offre une biographie riche et nuancée d’une écrivaine singulière qui, si elle n’est pas représentative de l’ensemble des femmes de sa génération, enrichit le tableau des destins possibles pour les femmes du milieu petit-bourgeois nées dans les années 1910 au Québec. L’ouvrage de Marie-Andrée Lamontagne nous a impressionnées pour la qualité de l’écriture, fluide, précise, nuancée. Nous avons apprécié la posture lucide, à la fois sympathique et critique, de la biographe face à son sujet; son habileté à déboulonner des mythes parfois édifiés par Anne Hébert elle-même; la manière dont elle réussit à intégrer la vie et l’œuvre de l’écrivaine sans jamais surinterpréter. En arrière-plan du personnage talentueux, tourmenté, timoré d’Anne Hébert, se dévoile un Québec d’avant la Révolution tranquille où l’on peut observer les relations d’une femme avec une famille (particulièrement avec un père, un frère et une sœur), avec ses ami.e.es; ses rapports à la culture, à la religion, à la santé, son inscription dans un réseau d’influence qui chevauche le Québec et la France. Cet ouvrage, qui n’est pas écrit par une historienne des femmes, nous semble néanmoins incontournable et promis à un rayonnement important à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de la discipline qu’est l’histoire des femmes. »
Félicitations à l’historien Harold Bérubé, prix d’excellence de la recherche et de la création de l’Université de Sherbrooke, pour son ouvrage Unité, autonomie, démocratie. Une histoire de l’Union des municipalités du Québec ! Pour en savoir plus, c’est par ici.
Ça y est : notre magazine web Le Boréal Express est en ligne! express.editionsboreal.qc.ca.
Au programme : des entretiens, des extraits et des résumés autour des livres de la présente saison. Y compris les nouveaux livres de Gilles Archambault, Sandra Dussault, Louis Hamelin et Dany Laferrière, en librairies en juin. Une nouvelle collection de nature writing, « L’œil américain ». Sans oublier l’éditorial de Jean Bernier, directeur de l’édition.
Il occupe nos pensées depuis des mois. Nous l’avons retourné dans tous les sens. Nous voulons qu’il poursuive son aventure par d’autres chemins. Pour mettre de l’avant la voix des autrices et des auteurs. Nous l’avons conçu pour vous, lectrices et lecteurs. Pour qu’il soit à portée de main sur votre téléphone, tablette ou ordinateur. Notre bulletin d’information « Le Boréal Express » passe au numérique et devient un magazine web. En collaboration avec l’équipe de Principal, nous avons fait ce que nous faisons depuis plusieurs décennies : donner forme aux histoires et aux idées.
Pour résister au confinement occasionné par la pandémie, nous offrons l’accès gratuit et intégral en ligne à des titres de notre catalogue. Voici une troisième liste de livres pour la période du 23 avril au 6 mai. Bonne lecture!
« Êtes-vous mariée à un psychopathe? »
« Ces enfants de ma vie »
« La Promesse »
« Contre le colonialisme dopé aux stéroïdes »
P R I X A D R I E N N E – C H O Q U E T T E 2 0 2 0
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Québec, le 15 avril 2020.
Le prix littéraire Adrienne-Choquette 2020 est remis à Geneviève Boudreau pour son recueil de nouvelles intitulé La Vie au-dehors, paru aux Éditions du Boréal.
Jeter un regard neuf sur le monde rural n’était pas un défi littéraire gagné d’avance. C’est pourtant ce que réalise Geneviève Boudreau avec son recueil de vingt-huit nouvelles. L’écrivaine y montre de façon admirable ce que signifie d’habiter un espace et d’être en retour habité par lui, La Vie au-dehors révélant aussi, par diffraction, la vie intérieure de ceux et celles – femmes et hommes, enfants et bêtes – qui vivent dans une intemporelle campagne taiseuse, pudique et sauvage.
La puissance poétique de la narration comme des passages descriptifs y contraste adroitement avec la langue familière des dialogues, plus rare mais tout aussi maîtrisée. S’en dégage parfois une tension dramatique au cœur de laquelle on trouve essentiellement le flou, l’incertitude, l’indicible. Et dans ce décor entre chien et loup, le lecteur ne sait plus très bien si c’est la Nature qui déteint sur les humains ou l’inverse. Toujours est-il que s’y trouvent dévoilées la cruauté d’une existence nue et l’étrange proximité de la souffrance des bêtes et des humains qui les côtoient. Cette ambiguïté relève moins d’une simple proposition esthétique, d’ailleurs, que d’un rapport au monde, d’une manière de le révéler sans lui faire violence. Il y a des perceptions qui demandent du temps avant de naître, semble professer Boudreau, et c’est pourquoi l’on doit cultiver une éthique de la disponibilité. En restant immobiles, en évitant de faire trop de bruit en tournant les pages, lecteurs et lectrices découvriront à leur tour le sens enfoui des gestes anodins accomplis sans bruit, les joies et les chagrins qu’ils recèlent et qui échappent généralement à l’attention.
De fait, ce n’est pas la moindre qualité de cette plume minimaliste, d’une exigence et d’une précision remarquables, que de suspendre le jugement sur cette existence dépeinte à l’abri de toute idéologie (la vie à la terre naïve et traditionnelle du courant du terroir) et de tout effet de mode (le néo-terroir). Avec réalisme mais sans complaisance, le recueil expose la campagne dans ce qu’elle a de plus sauvage, cruel, rêche, impitoyable. Cependant, même si les nouvelles se concentrent sur la ruralité, elles peuvent trouver un écho universel dans toutes les vies, y compris les plus urbaines, car la solitude, la peur du vide, l’angoisse de la mort y sont racontées dans une langue à la fois concrète et lumineuse, au pouvoir d’évocation immense. Boudreau parvient à dire beaucoup avec très peu, maîtrisant la poésie comme une fermière le point de croix. Tout semble minutieusement calculé et, pourtant, on sent que l’autrice fait confiance aux mots, ne leur impose rien; le sens apparaîtra dans l’exercice et dans l’instant de la lecture. Cet accueil singulier du lecteur distingue encore ce recueil, lequel constitue une réussite à tout point de vue.
Félicitations à Geneviève Boudreau et aux Éditions du Boréal !
Le jury se composait cette année des écrivains Simon Brousseau, Morgan Le Thiec et Mélissa Verreault.
Décerné annuellement au meilleur recueil de nouvelles paru au Canada français, le prix littéraire Adrienne-Choquette est habituellement remis au Salon international du livre de Québec (SILQ). Administré par le Centre Aude pour l’étude de la nouvelle (CAEN), le prix est doté d’une bourse de 1 000 $ offerte par la Ville de Québec.
Les photos des auteurs ne peuvent être reproduites sans l'autorisation des Éditions du Boréal.